Histoire d'un chœur

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Paul Quèinnec raconte la Schola

Dans le cadre de la préparation du centenaire de la Schola, Paul Quèinnec m’a reçu à son domicile à Sées avec Bernard Delaunay (collègue scholiste) et en présence de Mythèse, sa gouvernante. J’ai enregistré cet entretien avec son autorisation, mais ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pris la peine de passer une journée à le retranscrire. Ci-dessous l’essentiel de son témoignage, où il évoque sa propre histoire et celle de la Schola, dans l’esprit à la fois engagé et distancié qui était le sien, et avec son humour habituel.

​Son parcours

Je suis entré au Petit Séminaire à 10 ans, en 1932. J’avais une jolie voix de soprane. Je pars en Allemagne de 1943 à 1945. Je suis nommé prêtre le 29 juin 1947, déjà responsable du chant au Grand Séminaire. Je participe à une émission de radio sur le chant grégorien. J’étais vicaire à Alençon de 1947 à 1951.

Mgr Pasquet ne voyait pas l’utilité d’un prêtre s’occupant de la musique, c’était des « fanfreluches ». Nommé à Alençon, je me suis tourné vers les petits gars d’Alençon, Philippe Auger, Paul Philippe, les petits chanteurs d’Alençon que j’avais créés. Pendant quatre ans on a chanté. J’étais un peu en porte-à-faux, parce qu’il y avait à Saint-François le père Georges Pelluet qui était un excellent musicien. Avec le père Flament qui venait faire chanter la chorale d’Alençon. Mais Mgr Pasquet avait dit « J’ai nommé l’abbé Quèinnec à Alençon, j’entends que ce soit lui qui s’occupe de la chorale ». Beaucoup ont cru que j’avais manœuvré , mais c’est par ordonnance de M. l’Evêque que j’ai pris la chorale. Avec M. et Mme Chéramy à l’époque. Mais je n’ai pas pu travailler avec l’abbé Pelluet. L’abbé Flament avait un frère qui était à Alençon, et Mme Flament qui était une excellente personne sentant ce qui se passait, m’occupant de son petit gars qui faisait partie des chanteurs.

A la fin de mon vicariat, ma sœur aînée est morte à 41 ans, papa est tombé paralysé ; Mgr Pasquet m’a nomme curé en 1951, avec la possibilité d’amener mes vieux parents avec moi, à Landigou, Ronfeugeray et Echalou.

Concert en mai 1952 à Landigou, en décembre à l’Immaculée de Sées. A la Cathédrale en novembre 1953 on fait un disque que j’ai encore pour le cinquantenaire du Motu Proprio de Pie X sur la musique sacrée. En 1953 à la Cathédrale de Sées, un Dimanche en Chrétienté avec M. Trouvé à l’orgue, on chante Couperin, Bach, Vierne…

1952-1954 répétitions à Flers, Argentan, avec des groupes actifs mais qui étaient restés locaux, il fallait les rassembler. Surtout à l’instigation de Mgr Johan je rassemble tout le monde ; en 1954 ce fut la reprise officielle de la Schola.

1955 Notre-Dame d’Alençon, De Profundis de Lalande, cantate 140.

1956 Voyage d’étude à Paris chez Marcel Dupré, sollicité alors pour être présent au cinquantenaire de la Schola à la Cathédrale.

1957 le 18 juin : la Sainte Russie à Landigou avec le quatuor Kedroff. On a commencé alors les journées diocésaines de la musique sacrée à la Cathédrale.

1958 le 18 octobre récital d’orgue de Marthe Bracquemond.

En 1961 j’arrive à Sées. Mes parents étaient vieillissants et fatigués (Mitaise venait d’Alençon en Vespa pour nous aider). Mgr Pioger qui était auxiliaire (je ne sais pas si c’était l’auxiliaire ‘être’ ou ‘avoir’ ?), très ami avec Olivier Théon (un de ses illustres élèves) me dit : « M. l’abbé, on va avoir besoin de vous à la Cathédrale ». Il sentait/rêvait que Mgr Pasquet allait sans doute vers sa fin dernière. Je lui ai répondu : « Monseigneur, j’ai presque 40 ans ; si vous me nommez avant mes 40 ans, oui, sinon je n’y vais pas ». Il m’a nommé, et je suis arrivé ici pour l’inhumation de Mgr Pasquet, ça a été la prise de possession de ma fonction. Lui qui s’est toujours opposé, ou qui ne voyait pas l’utilité d’un prêtre pour la musique, j’ai pris mes fonctions pour son inhumation.

Mon idée c’était de faire une maîtrise pour la Cathédrale. J’étais nommé maître de chapelle de la Cathédrale, mais avec quelles troupes ? Avec le Petit Séminaire et le Grand Séminaire, toute tentative d’une chorale locale était vouée à la mort. J’avais dans l’idée, avec les écoles, de faire une maîtrise, c’est toujours ça qui m’a dévoré, alors que la Schola était déjà en route depuis 1954. Mais le maître de chapelle de Saint-Brieuc qui était un copain à moi, l’abbé Emmanuel Le Coat, m’avait écrit : « A Saint-Brieuc, 50.000 habitants, avec beaucoup de mal j’ai rassemblé 30 gamins à la maîtrise. Toi, Paul, tu es nommé dans un bled de 5.000 habitants, je t’offre mes condoléances, tu auras 3 gamins voire 3 gamins et demi et pas un de plus ». Et ça a été exactement ça. Par contre, les Frères des écoles chrétiennes m’avaient accueilli. Il y avait une école à l’ancien évêché au Palais d’Argentré où j’allais tous les jours, et j’avais réussi à rassembler un bon groupe de choristes filles, mais pas moyen de faire une maîtrise de Cathédrale. On a fait ce qu’on a pu avec ce qu’on avait et ce qu’on n’avait pas. C’était des filles épatantes. Francine [Guiberteau] avait écrit à cette époque-là sa Messe Duguesclin, et c’était les petites là qui l’ont mise sur pied ; on a été la chanter en Allemagne … Mais avec les petites je n’ai jamais pu réaliser une maîtrise, et Dieu sait si j’en ai rêvé pourtant.

Et c’est là que je me suis dit : c’est la Schola qui va devenir la chorale de la Cathédrale pour les grandes fêtes. C’est comme ça que ça s’est fait. Ça a intensifié mon action pour la Schola, et à partir de là on a continué à fonctionner.

1963 Des prêtres me disent : la Schola c’est très bien, mais que fais-tu pour nos petit gamins ? M’occupant alors des enfants pendant les vacances pour un éveil musical, j’ai eu l’idée de rassembler les gamins des profs qui me disaient « Si vous faisiez des vacances de 15 jours musicales, on vous envoie des gamins ». C’est comme ça qu’a commencé le Camp Josquin à la Chapelle-Près-Sées. Après on est venu à l’ancien évêché, et c’est là que j’ai fait appel aux amis d’Allemagne, la Corona Musica de Bad-Hersfeld. Eux nous apportaient des violes de gambe qui étaient inconnues au bataillon, des cromornes ; on s’est donné mutuellement un coup de main, ça donnait un intérêt à l’entreprise.

Quand on me dit « vous avez fait ceci, cela... » je raconte l’histoire suivante.

Marius et Olive. Un jour Marius se promène le long d’un canal. Les circonstances ont fait qu’un pauvre gars était en train de barboter ; il le sauve. Alors, très bien, c’est une bonne action, on le décore, il y a de la musique, le feu d’artifice, le Préfet. Le soir, Olive lui dit : « Marius, tu es content quand même, on reconnaît ce que tu as fait, c’est bien ? » Et lui de dire : « Je voudrais bien savoir quel est le salaud qui m’a foutu dans le canal ! ».

Je trouve cette histoire-là formidable : les circonstances ont fait qu’il fallait bien faire quelque chose !

J’ai demandé au Grand Séminaire de faire l’école César Franck [mais cela n’a pas abouti]. Mais j’ai eu la chance d’avoir des amis qui étaient connaisseurs. Pour les concerts j’avais un Pierre Dutot (une célébrité), j’ai eu Marthe Bracquemond qui venait prendre ses quartiers d’été à Moutiers. Ils ont vu l’intérêt de ce que j’essayais de faire et m’ont apporté spontanément leur aide.

J’ai toujours cherché à faire se rencontrer des gens qui aimaient chanter mais qui ne connaissaient pas forcément la musique. Ça a été une grande famille à qui j’ai essayé de faire chanter de belles pages. En travaillant ensemble, on a eu peu à peu une faim de davantage. Certains sont allés en stage, moi-même avec Bernadette [Barré] je suis allé plusieurs fois à Vaisons-la-Romaine, c’est là que j’ai rencontré Philippe Caillard. J’y ai appris beaucoup de choses que je ne savais pas. Petite histoire : Bernadette avait une amie pianiste qui dit en parlant de moi : « Il dirige joliment bien ton mari. » « Mais c’est pas mon mari ! C’est mon chef de chœur ! » « Et comment tu écris c(h)œur ? » …

J’aimais bien Philippe Caillard ; il m’appelait ‘le chanoine’. Berthier de Lioncourt m’avait demandé un jour, en tant que prêtre, de présenter l’Actus Tragicus [Cantate 106 de J.S. Bach] que j’avais fait chanter. J’avais une connaissance de la partition sur laquelle j’avais passé du temps. C’était un stage où il y avait surtout des instituteurs laïcs. J’en ai eu des remerciements de leur part ; ils sont venus me voir après en disant « Maintenant on ne peut plus chanter de la même façon ».

Le Roi David. J’ai montré la partition à Mgr Johan qui était un lecteur formidable, et qui s’est permis, quand Marcel Dupré venait inaugurer les orgues d’Agen, de monter à l’orgue pour conclure le concert ! Et Mgr Johan voyant la partition que je jugeais tout-à-fait abordable me dit : « Mon petit Paul, je n’aurais jamais osé ! ». Faut-il que je prenne ça pour un compliment ?

J’ai aimé, j’ai été piqué au jeu, et puis j’ai aimé que les gens aiment.

Beaucoup m’ont dit « On n’a pas notre place à la Schola, parce que vous nous faites chanter des choses que vous aimez tellement, qui parlent de vos réalités religieuses ; nous on ne partage pas cela, on n’y a pas notre place ». Mais si, bien sûr, on est entre amis, on chante de belles choses ensemble, n’allez pas vous tracasser du reste !

Je me souviens de Serge Toussaint qui me disait quand on allait chanter le Miserere de Gabrieli : « Ah, Paul, si tu savais, avec des œuvres comme ça on serait presque obligé de croire. » Je ne le faisais pas dans ce but-là, mais si la beauté pouvait les amener à imaginer autre chose, je ne suis pas contre quand même. Et c’est pour ça que j’étais un peu en butte avec le père Dubigeon qui disait en parlant de la Schola « Qu’est-ce que c’est que ce bazar-là ? » Mais il y avait un autre problème, les femmes étaient en [tenue peu acceptable].

Pour moi, la Schola a été une aventure d’amitié. On a eu des gens qui ne connaissaient pas la musique. Mais si je fais mon examen de conscience, j’ai peut-être eu tort d’accepter trop de gens. Ils étaient heureux de venir, mais ça retardait un peu l’avancée.

On est allé en 1966 au Mont-Saint-Michel pour le millénaire. Et puis on faisait des réunions de chorales paroissiales. Et puis j’allais aux réunions d’A-Cœur-Joie à Vaisons-la-Romaine. J’ai chanté là-bas avec des chefs qui m’ont pris en amitié. J’ai chanté des choses splendides. En particulier, un jour on chantait la Symphonie des Psaumes [de Stravinsky] sous le ciel de Provence. Je regarde la partition et me dis : « Oh, je dois pouvoir y arriver ». J’ai mis la Symphonie des Psaumes en route, et on l’a chantée, une des grandes pages religieuses modernes. Quand on aime, ça le fait.

Voyage à Venise et Rome avec 2 autres chœurs (de Rennes et de Saint-Malo) en 1978.

1980 le 28 octobre : le Roi David, qui demande une connaissance des textes bibliques.

1981 la Symphonie des Psaumes.

1982 La Danse des Morts, qui a apporté beaucoup.

Le Roi David a été écrit dans un enthousiasme proche de ce que nous cherchions à la Schola. Quand j’ai donné le Roi David ça a été pour moi le plus beau compliment. Il y avait M. de la Crételle qui avait chanté le Roi David avec Honegger et qui était là le soir. Il m’a dit après : « Honegger aurait été content ». C’est le plus beau compliment que j’ai jamais eu. Et pourtant, on s’est planté : dans le Miserere les basses sont arrivés avec une demi-mesure de retard, mais personne n’y a vu que du feu, il y avait un tel enthousiasme.

On était condamnés à faire des répétitions à n’en plus finir, ça a peut-être découragé certains. J’avais dit à Anne-Marie : Tu feras selon ce que tu sais, et elle en sait beaucoup la petite, mais moi j’avais toujours rêvé d’un petit ensemble de douze personnes, quatre fois trois, pour permettre avec deux voitures toc on va ici, toc on va là. C’est un peu dans cette direction-là qu’elle s’est dirigée et je crois que c’est bien.

On a eu affaire avec Jean-Pierre Wallez au début du Septembre Musical qui nous a … je ne lui en veux pas, mais … ce n’était pas le même monde, hein. Il nous toisait de haut, si bien que les choristes étaient venus à la répétition – il avait dit « Ah, l’Orne c’est le désert musical complet » ; Monsieur, avez-vous jamais récolté les sueurs que nous avons laissées sur les routes de l’Orne pour faire comprendre la beauté de la musique, si vous l’aviez vous ne parleriez pas comme cela – ils étaient venus à la répétition comme des paysans avec des paniers remplis de carottes, de choux-fleurs. Je suis heureux qu’il ait maintenant une opinion autre sur la Schola de l’Orne.

Dominique Trouvé a fait une affiche pour le Camp Josquin qui a servi aussi pour la Schola.

Nous avons fait le voyage à Agen pour l’installation de Mgr Johan. On a donné « la bataille de Marignan » [de Janequin] qui a peut-être été … une corrida ! Au théâtre d’Agen, en grande tenue, la Schola a donné « la Bataille de Marignan » en 1956.

1956 le 7 octobre messe pontificale à Sées, Mgr Johan, l’après-midi audition du cinquantenaire de la Schola, 136e concert.

1956 le 4 novembre on donne « Marguerite de Lorraine » du père Busson.

1986 le 3 juillet il faisait une chaleur épouvantable, j’ai eu la visite d’un moine de la Trappe. Je devais montrer aux enfants le rythme du « Lac des Cygnes », on était à la Providence, je me suis mis à bafouiller, heureusement une sœur m’a fait une piqûre, puis le docteur est venu, et ce fut le CHU. Bernadette a très gentiment pris la relève.

Mythèse : Mais elle n’a jamais été considérée comme directrice de la Schola. Paul poursuit : Je vais vous dire, on doit beaucoup à Bernadette pour la Schola. Elle a fait de solides études de piano, de musicologie ; elle était prof de musique à Flers. J’ai craint beaucoup pour elle, parce que c’était très lourd. Elle avait une connaissance de la musique contemporaine ; c’est grâce à elle si on a chanté du Hindemith, Schubert, Schumann. De la musique contemporaine que je connaissais mais ne pratiquais pas ; Debussy ; elle m’a traîné à l’Opéra …

​Anecdotes diverses

Le reste de l’entretien se déroule autour du visionnage d’un certain nombre de photos de l’époque, ce qui donne lieu à des commentaires qui peuvent paraître décousus.

Il y a eu des gens qui venaient à la Schola parce que ça faisait bien sur la carte de visite.

Les chorales paroissiales et autres étaient un vivier pour la Schola. Mais il fallait travailler. Ça a fini par alourdir le chariot et retarder la marche.

Un jour que j’étais curé, il y avait un jeune, Alfred Delcourt, fils de curé, un garçon épatant, mais son chant venait toujours avec un peu de retard, il aurait fallu qu’il parte avant pour être à l’heure … Il m’a dit « Je suis protestant ». « Au contraire ! Qu’est-ce que ça vient faire cette guerre de religions dans nos histoires de chant ? ». C’était la Schola, ça.

M. Aubine qui était ingénieur à la mine et violoncelliste : « Je ne partage pas vos idées, mais je veux vous aider ». Oui, j’ai besoin d’un violoncelle !

Et puis on rencontre notre petit Christophe Coin, on joue « Jephté » de Carissimi, « est-ce que je pourrais faire le petit continuo ? ». « Oui, bien sûr ». On chantait à la Carneille. Et puis il est devenu l’élève privilégié de Jordi Savall à la viole de gambe.

On a eu une voix d’or (avant Marie-Claire Lasne), c’était Antoinette Letellier d’Alençon. Elle avait une sœur qui a eu des ennuis parce que sa sœur chantait dans un groupe religieux.

André Trillon (je le retiens celui-là), ça va illustrer ce que j’essaie de vous faire comprendre. André Trillon était sociétaire des Concerts Colonne, titulaire de la contrebasse, il me disait « J’aime venir chanter ici, parce que là au moins on fait de la musique ». « Vous qui arrivez des Concerts Colonne ?! » « Je trouve ici un climat qui permet d’être heureux ensemble ». C’est tout juste s’il m’aurait pas payé pour venir !

Ça me fait me replonger dans des souvenirs qui me reviennent comme une marée montante.

Eva Lotz et les Allemands sont venus pendant une dizaine d’années. La première fois c’était en 1968, ils disaient « Qu’est-ce que c’est que ces fous de Français qui manifestent ? ». Ulf, 16 ans, violoncelliste, devant le Mont Saint-Michel : « On dirait du Mozart ! »

1957 : Les Kedroff à Landigou. Paul se met à chanter un chant cosaque, en évoquant les soldats russes en Allemagne…

On a enregistré un premier disque à la chapelle de l’Hôpital de Sées.

 

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